mercredi 9 novembre 2016

On m'a trumpé. Lettre à moi-même.

Mon cher bobo, mon cher croyant en la mondialisation, mon cher moi-même.

Tu te réveilles ce matin avec un coup sur la tête : le peuple des États-Unis s’est choisi Donald Trump comme président. Choqué tu t’es assis sur ton canapé rouge et tu as lu les commentaires de ta communauté sur les réseaux sociaux, sur ton tit téléphone intelligent. Dans ton appart de centre-ville à Québec, à un coin de rue du nouveau pavillon du musée des beaux-arts : un bonheur d’architecture, parois de verre poli adossées sur les vallons du parc.
Ton premier réflexe a été un « mais comment c’est possible, comment ont-ils pu élire un tel personnage avec de telles idées ». Ta prime réaction a été morale : la misogynie, le racisme, l’isolationnisme, etc. Et tu t’es rappelé la phrase de Churchill : « Le meilleur argument contre la démocratie est un entretien de cinq minutes avec un électeur moyen ». Et cette autre de tu-sais-plus-qui et que tu te cites de mémoire : la démocratie c’est le meilleur moyen pour un peuple de choisir les dirigeants qu’il mérite. Le cynisme en philosophie politique ne réconcilie pas avec les résultats des votes, mais permet de déverser son fiel autrement que sur sa fille qui vient de renverser son bol de céréales à 6 heures du mat.

Et puis t’as amené ta fille à l’école et tu t’es dit : essayons de comprendre ce qui peut pousser des gens à voter pour ce clown. Pour t’inspirer, t’as écouté ce qu’en pensent tes opposants politiques, et t’as syntonisé le 93.3 dans la voiture (enfin au retour, une fois ta fille à l’abri). La ligne ouverte t’a brassé le fond de la gélatine cérébrale.

Et puis tu t’es souvenu qu’en France, tout le monde considère comme un état de fait que le Front National sera au second tour des présidentielles ; et qu’en Europe les partis populistes gagnent du terrain ; en qu’en Hongrie, en Pologne, en Turquie sont explorés des espaces au-delà du populisme. Tu t’es dit : ce n’est une idiosyncrasie US, ni une syncrasie idiote, c’est une tendance lourde. (Et puis tu t’es dit que ce jeu de mots était vraiment pourri et pas nécessaire, mais bon certains matins on s’amuse comme on peut)

Et puis t’as fait un exercice d’empathie. Tu t’es dit. Il y a dans les électeurs de Trump plusieurs segments. Et en typologisant tu t’es senti mieux. Alors t’as continué. Passons sur le cœur de fanatiques idéologues, racistes, misogynes, viande à meetings, ce n’est pas de lui que dépend le résultat de l’élection ; passons sur ceux qui ont des revenus élevés et rêvent obsessionnellement de voir baisser leurs impôts ; passons enfin sur les fétichistes de touffes jaunes ébouriffées. Le succès de Trump repose sur les agrégats : tous ceux qui n’auraient pas voté pour lui mais pour d’autres candidats républicains, et qui l’ont fait quand même : Les femmes par exemple qui ont voté Trump plus que Clinton.

Parmi tous ces électeurs, tu t’es intéressé à deux en particulier. Un. Les perdants de la mondialisation : les exclus, les travailleurs pauvres, ceux qui n’ont pas les moyens d’être malades, ceux qui ont n’ont pas les moyens de bien manger, le lumpenprolétariat de nos économies de la connaissance mondialisées. Ceux que racontent Meyer dans « American Rust ». Deux. La classe moyenne qui craint de se voir prolétariser, et qui se voit peu à peu décrocher du train du progrès. Tu sais qu’aux États-Unis depuis la crise ses revenus baissent malgré le retour de la croissance et les résultats positifs des entreprises. C’est qu’ils se sentent largués face aux changements du monde. Avant, les institutions (l’église, l’entreprise, le parti politique) faisaient écran. On était pris en charge en quelque sorte. Maintenant il faut se le coltiner seul le mystère des choses, avec une exigence de performance comme sens à la vie. Dans la civilisation du moi.inc

Tu as constaté que toi non plus tu ne comprenais pas grand-chose : les possibilités technologiques ; l’économie mondialisée, flexibilisée, uberisée, financiarisée ; la géopolitique. Mais toi, tu as confiance. Toi et tes amis Facebook. Tu penses qu’il y a là un espace d’accomplissement pour ta vie. Tes filles ont trois nationalités potentielles, sur trois continents. Ton ainée va en prématernelle dans une école anglaise. Trois langues sont parlées couramment dans ton appartement. T’as des diplômes sur deux continents et t’as fait le tour du monde dans tes activités professionnelles. T’as pas fait fortune, t’es pas vraiment un gagnant de la mondialisation. Alors même si ce n’est pas facile, si ta condition pourrait être meilleure, tu y crois. Et tu t’y prépares : avec ta blonde tu te demandes dans quel pays vous irez, et quand ? Et tu prépares tes enfants. T’as la foi. Il faut parler de foi. Parce que franchement, face au mystère des choses, à l’incompris, le seul ordre possible de réaction c’est celui de la foi.

Pis tu t’es dit que d’autres n’avaient pas cette foi. Quand ils voient leurs usines fermer, leurs revenus baisser, leur qualité de vie se réduire. Qu’ils ne comprennent pas le monde dont ils entendent parler tous les jours : la différence entre chiites et sunnites, l’impact de la stratégie de développement économique de la Chine sur l’économie mondiale, la posture géopolitique de la Russie, les deux degrès .7 du changement climatique, et patati et patata. Et leur frustration vient de ce que des experts, doctement, expliquent en plateau que les difficultés qu’ils vivent sont liées à ces phénomènes obscurs, et que c’est inévitable, qu’il faut bien s’adapter, vivre avec son temps, cette sorte de machine à claques à déclenchement aléatoire. Et les hommes politiques embrayent : incontinence discursive, accointances intéressées, handicap dans l’action.

Ils ont peur et sont de plus en plus en colère. Alors quand ils ont le choix entre un spécimen de la caste qui gère ce foutoir depuis 30 ans, peut-être la plus compétente, et un clown qui fait tout péter, qui dit n’importe quoi, mais plus ou moins comme eux, ou comme le dirait la partie d’eux qu’ils n’aiment pas, ils font quoi ? Tu les as comparé à des joueurs qui à force de perdre ont renversé la table. Et tu t’es souvenu de comment tu te sentais quand gamin, tu perdais trop longtemps au Risk.

Alors tu t’es dit que t’allais arrêter d’adopter une posture morale. Que tu devais abandonner le regard de dédain du croyant qu’une opposition dérange. Dis-toi que ces gens-là ont raison. Que c’est ce qui leur reste pour avoir le sentiment d’influer sur leur vie.

Et puis, dans le fond, tu sais qu’on va continuer à les baiser ces prolos. Pense à ce que tu as dit à ta blonde : « de toute façon il ne pourra pas l’appliquer son programme, il aura son équipe, le congrès, les contre-pouvoirs ». Bref, l’air de rien, tout va continuer à peu près comme avant. Tu t’es souvenu du référendum de 2005 sur la constitution européenne en France. Tu t’es rassuré : On va pas l’abîmer ton terrain de jeu.

Alors maintenant, mon cher bobo, mon cher croyant dans la mondialisation, mon cher moi, tu as deux options.

Un, continue comme avant : reste sourd aux cris de souffrance, qui sont déjà colère, entretiens les frustrations, ignore les messages que les outils démocratiques permettent de passer, ignore les révolutions douces, et espère que cela pétera après toi, pour échapper personnellement au désastre.

Deux, entends la douleur de certains, l’angoisse d’autres, et crée les conditions du partage de ta foi dans un futur mondialisé, technophile, dans la science et le développement personnel, dans la liberté individuelle, dans la rencontre de l’altérité. Et là, mon grand, ya du boulot pour la vie.

dimanche 2 mars 2014

Musique de dimanche matin






Lund Quartet. C'est créatif, élégant, aérien. Un truc de dimanche matin ensoleillé, avant de mettre son nez dehors et de congeler.

Merci FIP.

mardi 6 août 2013

Promenade à Pointe Saint-Charles - Montréal


Pointe Saint-Charles. 



Si l’on distillait le quartier ceint par les rues Wellington, Sébastopol, et par l’avenue Ash, il resterait le train. Il en structure la topographie : une presqu’ile, délimitée par des voies ferrées. Il s’agit là d’un nœud ferroviaire important : un croisement vers l’Ouest, le port, le pont Victoria et la gare voyageurs de Montréal. Il occupe un vaste territoire au Sud des bassins Peel depuis qu’en 1853 la compagnie de chemin de fer du Grand Tronc a acheté un terrain à la métairie des sœurs de la Congrégation. C’est qu’avec « l’achèvement du pont Victoria en 1859, ces installations contribuent à faire de Montréal l’une des plaques tournantes du transport ferroviaire en Amérique du Nord », comme me l’apprend le site de patrimoine Montréal. Remarquez les termes « contribuent » et « l’une des plaques » qui témoignent d’une certaine humilité.
Sur une carte les rails dessinent des lignes droites parallèles, qui finissent par converger et puis se ramifient ; des courbes élégantes qui connectent les grands axes. Vu du sol, cela ressemble à un gigantesque terrain vague, où poussent les herbes folles, avec à l’horizon la ligne des grattes ciel de la City.
Les trains circulent. Fenêtres ouvertes, ils s’invitent chez vous. Ca gronde, ca racle, ca grince. Des cloches tintent de temps en temps.  Et l’on comprend à la longueur des cris du métal, à l’absence de rythme, que les convois sont lents et pesants.






Les déambulations dans ses rues racontent l’histoire d’un quartier ouvrier fournissant en main d’œuvre les industries du canal Lachine, son déclin et sa timide revitalisation qui donne à espérer aux jeunes familles, avant-gardes de la gentrification, qui retapent les petites maisons ou à celles qui investissent dans les îlots de condos rutilants, un joli coup financier, dans dix ans….. enfin vingt ans, si tout va bien. Des bureaux de vente pour de futurs développement laissent croire qu’ils ont peut-être raison.



Les bâtisses, deux étages en briques s’alignent, identiques deux à deux souvent. Architecture classique des quartiers ouvriers sur un modèle anglais. Sur la rue Sébastopol, un ensemble de maisons à deux étages, toitures à deux versants et façades sans ornements. Au dessus du renfoncement qui accueille les seuils, des fresques rappellent des scènes de travail ferroviaire, dans un style qui lorgne vers le réalisme socialiste. L’ensemble fait aujourd’hui partie du patrimoine de la ville de Montréal, laquelle prend grand soin de les préserver : car « Ceprojet de la rue de Sébastopol introduit ce type de logements superposés àMontréal et est l’un des précurseurs des habitations multifamiliales quicaractérisent plusieurs quartiers populaires de la métropole. »


Les bâtiments en pierres apparentes, imposants, majestueux, sont les anciennes banques et les lieux de culte. Le poteau téléphonique dressé devant l’Eglise Méthodiste Unifiée vu sous un certain angle, prend des airs de clocher. On imagine les quelques maisons plus cossues, propriétés des contremaitres ou des industriels.





Fréquemment, des passages donnent accès aux jardinets à l’arrière, agréables sous les ormes matures qui en ont vu des braillards, des avinés, des engueulades, des paires de bouffes et des baisers, et assistent à présent sur toujours plus de parcelles à l’épanouissement familial par barbecue et trampoline.
Au fond de quelques couloirs encombrés que révèle le regard indiscret, sont tapis dans des bric à bracs d’antiquaires des vieux parcheminés aux teins de nicotine. (On en croise certains tôt le matin : vieille femme sèche en robe de chambre peluchée bleu poudre ; souvenir de cheminot confit de gras, en marcel).


Parmi l’inventaire classique de petites voitures familiales, plus ou moins jeunes, plus ou moins japonaises, des quartiers populaires, on croise dans les rues de vieilles gloires automobiles : une Mercedes de troisième main aux lignes d’avant le bio-design, une Audi retapée au duct tape, une Cadillac qui a connu l’essence cheap ; et puis une Porsche, pas toute neuve, mais quand même.



Le dépanneur au coin du parc des Cheminots a changé de propriétaire. Il s’appelle aujourd’hui Yanpeng. Google n’est pas à jour : l’affiche encore sous le nom de « dépanneur Gong ».

 


En périphérie, le long des voies, des bâtisses basses sont consacrées aux activités industrieuses. Hangars, ateliers, décrépissent dans le souvenir d’une économie défunte. Symbole de la mutation des âges, on y trouve deux lieux du prolétariat touristique : le stationnement de bus amphibies, ainsi qu’un garage à carrioles et chevaux appareillés. Tous ces équipages regagnent le Vieux Port au matin. Belle, grande jument indifférente, met 40 min. à l’aller et 32 au retour.  






Au Sud Est du quartier, se trouvent des bâtiments de sous-traitants dans l’entretien des trains. Le centre du CP est à quelques centaines de mètres plus à l’Ouest. La comparaison d’une carte de 1859 accessible sur la page Wikipedia de l’entrée « Pointe Saint-Charles » avec la vue satellite Google Maps amène à conclure qu’ils occupent l’emplacement des bâtiments construits à l’origine par la Grand Trunk. Et plus encore qu’ils occupent, parmi d’autres, un bâtiment d’origine, construit de briques rouges, fenêtres larges et ouvragées des cathédrales industrielles, aux proportions de brontosaure endormi (enfin tel que je les imagine, et dans la mesure où l’image est pertinente pour rendre l’idée de longueur). Et puis de nombreux bâtiments semblent vides, abandonnés aux herbes folles, derrière des grilles. Quelque chose a manifestement changé dans l’industrie ferroviaire.


Le bâtiment de la RB&C est remarquable. Par un souci d’économie qui l’honore, probablement convaincue qu’elle n’accueillerait là un ministre et ses médias, et probablement décidée à investir dans la qualité de sa mission d’entretien des voies, l’entreprise s’est inscrite dans une démarche de simplicité volontaire. Aspect le plus visible pour le promeneur : la modestie de la signalétique. Laquelle est un recyclage des restes de l’occupant précédent. Sur les panneaux « visiteurs », une couche de peinture s’emploie à effacer le nom d’« Alstom », une compagnie concevant et fabriquant des trains. Mais deux détails donnent à l’effort un côté broche à foin a priori peu compatible avec une activité industrielle de précision : le reste du panneau porte toujours les couleurs distinctives de l’ancien propriétaire des lieux ; et le nom, étant embossé, est révélé par son relief. Au dessus de la porte d’entrée le décorateur de RB&C a collé une plaque avec le logo de l’entreprise et son numéro de téléphone. Un second panneau représentant une locomotive vue de face, avec dans un coin, des étoiles très états-uniennes, a été ajouté à la va-vite, sans réussir tout à fait à couvrir l’ensemble du logo d’Alstom. Les indications pour le nouveau stationnement visiteur sont peintes en noir sur dans un style art brut de signalétique directionnelle, qui selon toute probabilité ne leur a pas coûté cher. Tout semble fait pour que l’on ressente la structure du coup de pinceau qui inscrit le geste dans une volonté originelle, pré-industrielle, ni édulcorée, ni manufacturée. Ce parti pris esthétique peut séduire certains.






La rue Sébastopol comme un résumé : ses maisons ouvrières pimpantes, ses entrepôts décatis, son vieil asphalte craquant, creusé de longues flaques, ses ruines, ses grands arbres, le mur de verdure foisonnante, piquée de lys et de campanules, qui la sépare des voies, rognant peu à peu la rue, découvrant dans des trouées la silhouette lointaine de la City.







Quel beau quartier ! On y sent quelque chose de la ville d’avant. Celle de l’industrie, de l’ouvrier et de la lutte sociale. Allez y faire un tour, avant que cela ne devienne comme la plupart des quartiers des grandes villes, un rack à travailleurs du tertiaire.

mercredi 12 juin 2013

Webdocu vraiment sympathique. Une plongée en France en suivant le Jeu des milles euros.
Le mode de navigation est excellent.

dimanche 26 mai 2013

Histoires de ponts

Comme le constate Libération dans un article, beaucoup d'effondrements de ponts aux Etats-Unis. Deux sont particulièrement spectaculaires (et sans victimes humaines). Les ingénieurs US font-ils des stages à Montréal ?

Lampasas, Texas, 2013. Le pont de chemin de fer, en bois, prend feu. Intervention impossible pour les pompiers. Résultat (au ralenti et en vitesse réelle) :



Tacoma, Etat de Washington, 1940. Le Tacoma Narrow Bridge est inauguré le 1er juillet. C'est le troisième plus long pont à suspension du monde. Pendant sa construction, les embardées du tablier lui ont valu le surnom de "Gallopi'n Gertie". Toutes les tentatives de remédier au problème se révélèrent infructueuses. Quatre mois plus tard, le 7 novembre, entre 60 et 70 km/h de vent. Le pont commence à osciller d'un mètre. Le trafic est interrompu. Puis le tablier commence à se tordre jusqu'à atteindre une amplitude de 9 mètres et un angle de 45°. Une heure plus tard, 200 mètres de pont sont au fond de l'eau. L'explication physique, faisant intervenir le couplage aéroélastique, est accessible ici et permet de couper le cou à cette insupportable rumeur d'entrée en résonance. Un tel phénomène n'était connu que sur les ailes d'avions. Cet accident permit de remettre en cause fondamentalement la conception des ponts suspendus.

Sur la vidéo vous remarquerez l'homme à la pipe. F.B. Farquharson est ingénieur, chargé de suivre l'évolution de la gigue du pont ce matin là. S'il a assisté impuissant à la destruction de l'ouvrage, il a au moins tenté de sauver un chien enfermé dans une voiture abandonnée. Il a rejoint le véhicule, ouvert la porte, et proposé à l'animal de le suivre. Lequel, paniqué, a fait le choix de rester en terrain connu. Il y gagna d'être la seule victime de l'effondrement.



Version avec commentaires de l'époque :