J’ai souvent du mal avec les livres qui nous plongent dans la psychologie des adolescents. Le dernier livre de Bégaudeau « La blessure, la vraie », était une exception. Mais j’avais moins accroché à la fin très romanesque, comme si Bégaudeau n’arrivait pas à rester dans l’enfermement du monde adolescent.
Et puis j’ai lu « Et au pire on se mariera » de Sophie Bienvenu chez La Mèche. Un procédé qui rappelle la première scène de la « Fille sur le pont » de Patrice Leconte. Le texte rapporte la déposition d’Aïcha à quelqu’un que l’on imagine être une psy ou une assistante sociale dans un poste de police, en tout cas quelqu’un qui essaie de lui faire raconter ce qu’elle a vécu qui l’amène en ce lieu. Aïcha est follement amoureuse d'un homme beaucoup plus âgé qu'elle. Un homme que l'on entrevoit, que l'on reconstruit, à travers la fièvre de son récit.
C’est un livre rare. La découverte âpre d’un être écorché, attachant, assoiffé d’amour. Sophie Bienvenu réussit la prouesse de nous livrer sans aucun artifice le récit d’Aïcha. Du brut. Et on est pris dedans, comme englué. C’est à la fois fascinant et dérangeant. En apnée. Déboussolé par les mensonges, les omissions de l’adolescente. Anéanti par son errance, sa souffrance.
Cela pourrait partir en vrille, mais le style est là pour tenir le tout. Une précision psychologique rare et un humour dévastateur. L’humour comme élégance du désespoir.
Deux extraits qui ne dévoilent rien de l’histoire.
« Tsé quand quelque chose te fait capoter, mais vraiment capoter, que t’étouffes pis que tu finis par vraiment en être malade… comme tantôt un peu… et que quelqu’un à côté essaie de te convaincre que c’est pas grave… Mais pas genre « voyons, pauvre tarte, tu capotes donc ben sur des niaiseries », mais par son énergie qui transpire et que te fait savoir que tout va bien aller. Même si ça chie tout autour, même si tu te fais attaquer de partout, que le monde menace de finir là, là, ou que ton intolérance au lactose pourrait te tuer.
C’est le genre de gars qu’il est. Comme une île déserte où tu t’échoues après une crisse de grosse tempête. Mais avec de la bouffe et de l’eau et tout dessus. Et une maison chauffée. Et Internet. » (p. 96)
« Ca fait ça, un chat. C’est toujours là dans tes jambes quand t’as pas besoin, pour t’embarrasser. Pis ça te juge. Ca se prend pour un autre, même quand ça se lèche le cul.
Enfin, ça, je peux pas les blâmer, parce que j’en connais plein des humains aussi qui si prendraient pour d’autres s’ils pouvaient se lécher le cul. » (p. 84)
Un livre pas reposant. Comme n’étaient pas reposants « Le ravissement de Lol V Stein » de Duras, « La musique » de Mishima, ou « Alexis, ou le traité du vain combat » de Yourcenar. Mais un livre qui apporte sa part à la compréhension des autres.
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