lundi 6 décembre 2010

Très triste

Pizzeria, midi.
Un homme vient s'asseoir à côté de notre table, cheveux fournis et très blancs. Traits rigides. Lentement, le coude tenu par sa femme. Soixante dix ans comme lui, bronzée, bien sapée, bourgeoise retraitée de bord de mer.
L'homme s'asseoit difficilement. ACV.

Extraits de dialogues :

- Tu pourrais relever la tête au moins.
- Hum.
- Tu n'as rien à raconter ? Rien à me dire.
- .... .... .... Non. (constat sans agressivité, honnête).
- C'est bientôt Noël.
- ....
- Tu te souviens de ce que c'est Noël ?
- ....
- Florence et Denis vont venir avec les petits. Tu te souviens de Florence et Denis ?
- ... Hum...
La femme regarde un point loin derrière ses épaules voutées. Lui a le regard fixe sur son assiette.

- Tu te souviens de Marrakech ? C'était bien Marrakech hein ?
- ..... Oui.
- Tu avais des enfants à Marrakech ?
- .... Oui.
- Ils s'appelaient comment tes enfants à Marrakech ?
- .....
- Et tu avais une femme à Marrakech ?
- .... Non.
- Tu avais des enfants et pas de femme ! Comment ils s'appelaient tes enfants ?
- .....
Impression; parfois d'une cruauté de malade. Une cruauté née de la colère que sa femme le voit ainsi, l'humilie par des questions auxquelles il n'avait pas de réponse, qui résonnaient dans sa tête creuse. Ces fragments de connaissance éparpillés, sans suite. Ces parcelles d'émotions sans cause, sans conséquence, sans rien qu'un gigantesque vide qui aspire les vertiges. Et la fatigue, le mal de tête. Honte. Ne plus même lever le regard, s'enfermer. Et puis une cruauté de malade comme dernier éclair de lucidité.

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