mardi 19 avril 2011

Adrienne Bolland




Une femme est ivre à la table d’à côté. L’homme à travers les cris et les rires a compris qu’elle a perdu une grosse somme aux courses. Ce serait une soirée comme une autre, une femme de plus que des hommes saoulent au Champagne, si elle ne se montait pas sur sa chaise, pour dire, hommes accrochés à la jupe comme pour la retenir de s’envoler : « Et puisqu’il en est ainsi je vais faire de l’aviation ». Et pourquoi pas, on a temps besoin de pilotes à l’usine et puis cette femme dégage une telle énergie, alors l’homme répond : « Vous devriez essayer chez Caudron, il offre une bourse pour apprendre à piloter. »

Adrienne Bolland passe son brevet de pilote en novembre 1919, deux mois après son baptême. Du talent, mais sale caractère, et portée à faire le coup de poing plutôt que d’argumenter. René Caudron voit très vite le parti qu’il peut tirer d’une telle femme. Il organise une traversée de la Manche. Elle décolle, disparait dans les nuages, n’atteint jamais les côtes anglaises. Les journaux l’annoncent morte. Alors qu’elle avait viré à droite et brûlé sa nuit à Bruxelles avec ses amis. Commentaire : « Si je me suis noyée cette nuit là, ce n’est sûrement pas dans l’eau, il faut le dire… ».

Les succès d’Adrienne Bolland vont suivre. En 1920 elle est la seconde femme à traverser la Manche. En 1921, lassée d’attendre le nouvel avion que Caudron lui avait promis, elle s’élance, première femme, à l’assaut des Andes, sur un G3, frêle assemblage de bois et de tôle, avion d’observation conçu avant guerre. Biplan. 13, 40 mètres d’envergure, 6,40 mètres de longueur, 778 kilogrammes, 115 km/h de vitesse maximale, moteur de 80 chevaux et 4200 mètres de plafond, soit la hauteur des montagnes qu’il faut survoler. L’avion sera donc poussé à sa limite. Adrienne aussi. Pas de pare-brise : les vaisseaux de son visage explosent sous l’effet du froid et de la vitesse. Les Argentins la baptisent la « Déesse des Andes ». L'ambassadeur de France n'assiste pas à l'arrivée. Il avait cru à un canular. La France s’en fout.

Caudron la licencie en 1923, sur les conseils jaloux de sa jeune femme. Mademoiselle Bolland écume alors les meetings aériens et bat en 1924 le record féminin de loopings en série : 212. La presse s’intéresse. En 1933 elle survit à un crash victime d’un sabotage. Puis s’engage : au côté des suffragettes, des républicains espagnols, des résistants, puis de toutes les causes qui tout au long de sa vie lui sembleront justes.

Elle meurt en 1975.

Quelqu’un, un jour, employé de la mairie d’Arcueil chargé de l’état civil selon Wikipedia, ou secrétaire chez Caudron selon Air France Magazine, se trompa et ajouta un second L au nom de son père. Adrienne Bolland, avec deux L.

Source : Air France Magazine, n°168, 176-181.

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