samedi 14 mai 2011

Kaputt (2)

"J'ai perdu l'habitude d'agir : je suis un Italien. Nous ne savons plus agir, nous ne savons plus prendre aucune responsabilité après vingt ans d'esclavage. Moi aussi, comme tous les Italiens, j'ai l'épine dorsale brisée. Au cours de ces vingt ans, nous avons employé toute notre énergie à survivre. Nous ne sommes plus bons à rien. Nous ne savons qu'applaudir. Voulez-vous que j'aille applaudir le général von Schobert et le colonel Lupu ? Si vous voulez, je puis allez jusqu'à Bucarest applaudir le maréchal Antonesco, le "chien rouge" au cas où ça pourrait vous être utile. Je ne peux rien faire d'autre. Vous voudriez peut-être que je me sacrifie inutilement pour vous, que je me fasse tuer place Inurii pour défendre les Juifs de Jassy ? Si j'étais capable de cela, je me serais déjà fait tuer sur une place d'Italie pour défendre les Italiens. Nous n'osons plus et nous ne savons plus agir, voilà la vérité, conclus-je en tournant la tête pour essayer de cacher la rougeur de mon front." (Page 146)
Note : Ne pas se tromper sur la portée de ce paragraphe. Ne pas y voir simplement le dégoût de lui-même d'un homme qui n'ose pas agir face à l'horreur dont il est le témoin. Etre assez honnête pour en percevoir l'universalité.

"Un journal où Azana note jour par jour, heure par heure, les plus petits détails et, apparemment, les plus insignifiants de la révolution et de la guerre civile : la couleur du ciel à une certaine heure d'un certain jour, la voix d'une fontaine, le bruissement du vent dans les feuilles d'arbres, l'écho des coups de fusil tirés dans une rue voisine, la pâleur ou l'arrogance ou la pitié ou la peur ou le cynisme ou la trahison ou la simulation ou l'égoïsme - des évêques, des généraux, des hommes politiques, des courtisans, des notables, des chefs de syndicats, de grands d'Espagne, des anarchistes, qui venaient le trouver, lui donner des conseils, postuler, faire des offres, traiter, se vendre, trahir." (Page 235)
Note : Moi qui suis un amateur d'énumérations, je reconnais un maître. Quatre thèmes dans la même liste.

"Solitaire, pur, essentiel, abstrait, il ressemblait à une colonne dorique, ce Feldwebel debout sur le bord du Danube, unique arbitre de cet énorme trafic d'hommes et de véhicules." (Page 287)
Note : Quelle phrase magnifique !

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